La Vénus de Milo
« Marbre sacré, vêtu de force et de génie,
Déesse irrésistible au port victorieux,
Pure comme un éclair et comme une harmonie,
Ô Vénus, ô beauté, blanche mère des Dieux ! »
LECONTE DE LISLE, « Vénus de Milo », in Poèmes antiques, 1891, 5e édition
Samedi 2 mai 2020
Je démarre donc mes recherches sur la Vénus de Milo.
Bon, commençons tout d'abord par une courte présentation de cette fameuse sculpture. Elle vient de l'art grec de la fin de l'époque hellénistique, soit vers 150-130 avant J.-C., et a été trouvée en 1820 dans l'île de Milos, en mer Égée. C'est justement cet endroit que j'ai vu cet été. Ce fut d'ailleurs un peu décevant de n'y voir qu'un petit écriteau racontant sa découverte et expliquant qu'elle se trouve aujourd'hui au musée du Louvre à Paris où j'habite justement ! Tant de kilomètres pour ça ! Heureusement que ce n'était pas le but de mon voyage... Je comprends très bien alors la volonté des Grecs de la récupérer, j'ai lu un article à ce sujet (Article 2) d'ailleurs je me demande ce qu'elle fait en France ! Il faudra que je me renseigne.
si le lien de l'Article 2 ne fonctionne pas, vous pouvez en télécharger une copie juste en dessous:
Revenons à la présentation. Cette statue est gigantesque et dépasse même la taille humaine du haut de ses 2,02 mètres de haut ! Elle représente probablement Aphrodite, déesse de la beauté et de l'amour, mais il est difficile de l'identifier avec certitude puisqu'elle ne porte aucun attribut reconnaissable et a perdu ses bras et son pieds gauche. Sa tête était ornée d'un diadème en métal fixé sur une bande lisse, dont les trous de fixation sont visibles, et ses oreilles de boucles en métal. De même son bras droit, conservé jusqu'au milieu du biceps et dirigé vers le bas, présente au-dessus de la fracture deux trous servant sans doute à fixer un bracelet en métal.

Lundi 4 mai 2020
J'ai cherché l'information qui me manquait pour comprendre le déplacement de la statue entre la Grèce et Paris.
Pour commencer, elle a été trouvée en avril 1820 par un paysan dans son champs, situé près d'un stade dont les ruines sont toujours visibles sur la petite île grecque, situé lui-même près d'une agora, soit probablement au cœur d'un ville disparue. Il n'a en fait pas juste trouvé la statue que nous connaissons, mais en creusant son jardin repère des blocs de marbre bien taillés affleurant le terrain et continue donc de creuser pour en récupérer davantage. Ils proviennent du haut des murs d'une construction alors complètement enterrée, qualifiée dans les premiers récits de « grotte ». L'entrée aurait été surmontée d'un marbre de la taille d'un linteau portant gravée une dédicace d'époque hellénistique (identifiable à la forme des lettres).
Dans cet espace restreint étaient enfouies plusieurs sculptures de marbre, accompagnées de fragments, mais on ignore s'il s'agit de leur emplacement antique ou d'un regroupement postérieur. J'ai eu la chance d'avoir la possibilité d'avoir accès aux premiers témoignages narrant cette découverte et qui disaient ce qui s'y trouvaient certainement :
- la partie supérieure de la Vénus, les bras cassés, le chignon encore attaché (Louvre, Ma 399)
- la partie inférieure de la Vénus, sans le pied gauche (Louvre, Ma 399)
- le morceau intermédiaire de la hanche droite (Louvre, sur la statue)
- une main tenant une pomme (Louvre, Ma 400)
- un pied chaussé d'une sandale (Louvre, Ma 4794)
- un pilier avec une tête d'Hermès barbu (Louvre, Ma 405)
- un pilier avait une tête d'Héraclès imberbe (Louvre, Ma 403)
- et d'après certains aussi un troisième pilier fragmentaire avec une tête d'Héraclès imberbe (Louvre, Ma 406).

Or, à cette époque justement, plusieurs navires de l'escadre française du Levant, parmi lesquels l'Estafette, stationnent ou font escale dans la rade de l'île de Milo. Les Français s'intéressent alors de près à cette statue d'une grande qualité et beauté et estimée déjà à une grande valeur.
Le temps que la nouvelle de la découverte se répande chez les Français et qu'ils décident s'ils voulaient ou non acquérir l'œuvre, les dignitaires de l'île décident de leur côté de l'acheter pour le fonctionnaire grec dont ils dépendent à Constantinople.
Le consul général de Smyrne, averti, écrit alors à l'ambassadeur de France à Constantinople, le marquis de Rivière, lui demander s'il veut acquérir la statue pour le Musée Royal à Paris. Après avoir écouté les différents témoignages, M. de Rivière décide d'acheter la statue à son propre compte et il demande à ses messagers de se rendre à Milos pour traiter l'affaire. Payant le paysan plus cher que les dignitaires grecs, il obtient la statue qui arrive en décembre 1820 à Toulon, puis est acheminée par voie fluviale jusqu'à Paris. M. de Rivière offre alors la statue au roi Louis XVIII lors d'une audience qui lui est accordée en mars 1821 au palais des Tuileries. Le roi l'accepte et l'offre à la France pour enrichir les collections du musée du Louvre, mais il n'ira jamais la voir.
Et c'est ainsi que la sculpture trouvée sur la petite île grecque s'est retrouvée au palais du Louvre à Paris !
Donc en 1821 la statue arrive dans l'atelier de restauration des sculptures du Louvre où l'on envisage d'abord la restauration des bras en marbre. Cependant, les restaurateurs ne pouvant se mettre d'accord quant à l'attitude générale de la statue, Antoine Quatremère de Quincy, membre éminent de l'Institut dont l'entourage du Roi sollicite l'avis, recommande d'exposer la statue « dans l'état de mutilations où elle se trouve ». C'est ainsi que sa première restauration moderne décide que la célèbre Vénus de Milo restera sans bras et entretiendra la légende !
Mardi 5 mai 2020
Forcément, comme tous ceux qui ont été eu la chance un jour de se placer en face de cette statue imposante trônant au musée du Louvre, l'action qu'elle était censée être en train de faire suscite beaucoup ma curiosité ... Il paraît que ça a beaucoup participé à la renommée de cette statue mais ça ne m'étonne pas ! Il y a quelque chose de presque fascinant à imaginer ce qu'il pouvait bien y avoir au bout de ces bras tronqués...
D'ailleurs beaucoup se sont penchés plus sérieusement que la question mais les archéologues eux-mêmes en ont proposé des restitutions très différentes. Il sera même sans doute impossible d'être certains d'une hypothèses car les informations trop imprécises fournies au moment de la découverte laissent planer le doute sur l'appartenance ou non à la statue d'éléments déterminants pour l'attitude : une main gauche tenant un fruit rond, un morceau de bras gauche, le fragment de base avec encastrement et signature. En effet, pour certains archéologues ces éléments sont les restes d'une restauration antique de la statue mais n'en ferait pas partie à l'origine.
A force de me renseigner, j'ai quand même pu rassembler toutes ces hypothèses autour de 3 principales et voici lesquelles...
1) Vénus tenant une pomme
Référence : Cette restitution est presque communément admise à cause de la présence d'une main gauche tenant un fruit retrouvée aux côtés de la statue à Milos. Ainsi la statue représenterait Vénus tendant la pomme qui lui a été attribuée lors du « Jugement de Pâris », pour l'avoir emporté par sa beauté sur Athéna et Héra. Cette version de Vénus est donc appelée « Vénus Victrix », soit la Vénus victorieuse. Cette restitution ne comporte pourtant pas de comparaison proche en art.
Allure : Vénus, vue de face, tendrait la pomme dans la main gauche, l'avant-bras posé sur un pilier assez haut, la main droite abaissée vers la draperie sur la cuisse gauche (dessin de Furtwängler en 1893)
je me suis amusée à en faire un croquis :

2) Vénus groupée avec Mars
Référence : plusieurs Vénus romaines au drapé identique enlaçant le dieu Mars + une monnaie représentant le groupe avec la légende « Vénus Victrix » (comparaison 1821, Quatremère de Quincy)
Allure : Tournée de trois quarts vers le dieu de la guerre debout à sa gauche, la déesse lui enlace les épaules du bras gauche.
A gauche la vénus d'Arles et à droite la vénus de Capoue :

3) Vénus se regardant dans un bouclier
Référence : la Vénus de Capoue, elle aussi pareillement drapée et proche d'une monnaie de la ville de Corinthe représentant une déesse les deux bras tendus sur le côté, tenant un bouclier (comparaison James Millingen en 1826) + type de la statue de culte créée au IVe siècle av. J.-C. pour le temple d'Aphrodite sur l'acropole de Corinthe (Furtwängler) + poème grec décrivant une Aphrodite qui se sert du bouclier poli d'Arès pour se regarder : « [...] ensuite était représentée la déesse cythéréenne [Aphrodite] aux tresses épaisses, tenant le bouclier facile à manier d'Arès [...] ; en face d'elle, de manière très exacte, son image apparaissait visible dans le bouclier d'airain. » + fresque à Corinthe montrant la déesse portant un bouclier et une statuette flanquée d'un pilier + une statue de Vénus à Pergé (Turquie) de même type écrivant sur un bouclier
Allure : tournée de trois quarts droit, tenant des deux mains un bouclier posé sur un pilier à sa gauche. La déesse, au sortir du bain et parée de ses bijoux, admire son reflet dans le bouclier de son amant guerrier (restitution 2017, Marianne Hamiaux)

Jeudi 7 mai 2020
« En tout cas, la déesse de l'amour dicte les canons de la beauté. Cet idéal est incarné par la Vénus de Milo. » voici ce qui est écrit dans l'article du Monde que j'ai trouvé hier. Eh oui, la sculpture que j'ai choisis d'étudier est remarquable par sa qualité et la beauté de la femme qu'elle représente.
Comme je l'ai déjà dit (en même temps c'est plutôt frappant comme détail !) elle n'a plus son avant-bras gauche, ni son bras droit, ni son pied gauche. Malheureusement sa polychromie a aujourd'hui elle-aussi disparue. Cette statue figurative donne l'impression d'être en rotation, en mouvement.
La femme est debout, le haut du corps dénudé, les cheveux relevés en un chignon maintenu par un bandeau et trois mèches tombant sur la nuque. Mais je pense que sa beauté tient en partie aussi du matériau utilisé à sa fabrication, deux blocs en marbre de Paros, et de ses nombreux détails, taillés dans le marbre avec minutie. D'ailleurs il paraît que dès le début la Vénus de Milo a frappé les commentateurs par la qualité de sa sculpture qui l'a tout de suite différenciée des copies romaines auxquelles ils étaient habitués, les sculptures grecques étant encore rares à l'époque dans les musées européens.
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La beauté de cette sculpture relève aussi je pense, étonnement, de la non-uniformité voulue de son style. Principalement constituée de deux blocs de marbre, la statue est réalisée en plusieurs parties travaillées séparément et reliées par des scellements verticaux (buste, jambes, bras et pied gauches), selon la technique des pièces rapportées. Cette séparation dans le matériau semble rehausser une séparation artistique. En effet, sa partie supérieure est empreinte de classicisme avec un visage peu expressif et un modelé des parties nues sans ruptures ni effets d'ombre. Sa partie inférieure au contraire, est marquée par un rendu des plis de la draperie très graphique qui l'emporte visuellement sur la forme des jambes.
Une telle disparité a fait penser que la partie inférieure pouvait être une restauration antique tardive mais elle relève en fait d'une volonté de créer un fort contraste entre le nu et le drapé. La combinaison de ces effets de style très marqués en même temps qu'un retour au classicisme caractérise le goût de l'époque hellénistique
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Vendredi 8 mai 2020
J'ai eu une illumination aujourd'hui : pourquoi cette statue est appelée « la Vénus de Milo » ? ça n'a aucun sens comme nom puisqu'étant grecque, on devrait l'appeler Aphrodite, déesse grecque équivalente de la Vénus latine... Par ailleurs, l'île sur laquelle elle a été trouvée est l'île de Milos, et non l'île de Milo ... Est-ce une simple erreur de prononciation ? Cela me semble étrange...
C'est bon j'ai trouvé ! Milo est la version ancienne du nom de l'île de Milos ! Mais en ce qui concerne le nom latin et non grecque employé, je ne sais pas, cela doit avoir été une imprécision de langage faite à sa découverte et maintenue après j'imagine.
carte de la petite île de Milos en mer Egée :

Samedi 9 mai 2020
Plusieurs indices nous permettent de penser que la statue représente bien Vénus.
Tout d'abord, la déesse de la beauté est très souvent figurée à demi-nue. De plus, la femme représentée ici est couverte d'une grande étoffe différente des manteaux des femmes à l'époque appelés himation. Sa disposition autour du corps de la femme permettait dans la réalité à une étoffe de tenir en place toute seule, sans l'aide des mains. Mais cette technique, très inhabituelle, est caractéristique de toutes les statues d'Aphrodite du même type et permet de les identifier.
Par ailleurs, d'autres propositions d'identité ont été proposées, mais aucune d'entre elle semble correspondre avec la statue.
Ainsi certains la rapprochait d'Amphitrite, déesse de la mer, vénérée dans l'île de Milo, mais aucune des représentations grecques d'Amphitrite n'est comparable à la Vénus de Milo. Ainsi la statue d'Amphitrite trouvée à Milo en 1877 avec celle du Poséidon de Milo et exposée au musée national d'Athènes est, elle, vêtue d'un chiton et d'un himation. Pourtant cette hypothèse reste une piste non-écartée.
D'autres ont ensuite pensé que la Vénus de Milo pouvait être une Victoire écrivant sur un bouclier après la découverte d'une statue de Victoire en bronze à Brescia (Italie) en 1826. Mais cette hypothèse qui confond l'arrachement en surface du marbre derrière l'épaule droite avec l'attache d'une aile a finalement été écartée.
Enfin, certains proposaient que la statue représentât une fileuse de laine mais cette interprétation provient d'une mauvaise restauration, au début du XIXe siècle, du geste des mains de la Vénus de Capoue.
Finalement, tous étant d'accord sur la particulière beauté de la femme et ne trouvant pas d'autres alternatives cohérentes, il a été communément admis que cette statue était celle de la déesse de la beauté et de l'amour, Vénus !